Les premiers rayons de soleil commencent à percer le feuillage des acajous et à dissiper la fraîcheur matinale. Dans la vallée voisine, une biche qui rejoint la réserve appelle son faon. Cette forêt est très fréquentée par les cerfs et les cochons sauvages. En fait, il s’agit d’un passage facile entre le flanc de colline et le creek. En amont, des glouglous me signalent la présence d’une troupe de dindes sauvages. Celle–ci semble se diriger vers mon affût en empruntant la coulée. Quelques instants plus tard, les glouglous se font plus proches et la troupe est enfin à mes pieds. Après quelques mouvements pour me retourner, je suis découvert. Un cri d’alerte et les cinq volatiles me fusillent du regard. Je ne bouge plus et ferme les yeux. La tension retombe à l’intérieur groupe et les animaux se remettent à gratter l’humus tout en faisant demi-tour. J’en profite alors pour armer mon arc et décocher une flèche en direction de l’épine dorsale d’un jeune mâle. A l’impact, c’est l’affolement, toute la troupe s’enfuit au pas de course et puis plus rien. Ma flèche est là, fichée dans le sol. Un moment plus tard, j’aperçois au travers du feuillage deux mâles dans la plaine se livrant un combat spectaculaire. Intrigué, je me décide à quitter mon affût pour une approche et peut être une seconde chance. Je récupère ma flèche sans aucune trace apparente de sang. Au sol, je ne relève pas d’indices non plus. En arrivant sur les lieux, ma stupéfaction est grande lorsque je découvre le jeune mâle inerte, la carotide tranchée par ma lame. L’autre mâle, qui s’est éloigné, s’acharnait à coup de bec sur son rival trépassant. Ainsi, l’instinct de conservation avait sans tarder obliger le groupe à rejeter cet animal blessé.

Devenu un familier du paysage calédonien le dindon ou Méléagris galopavo importé d’Amérique du Nord a très vite peuplé les savanes du sud du Territoire. Il est désormais présent sur toute la côte ouest. Son nom lui provient d’une confusion entre les Indes et l’Amérique Centrale. Ce volatile a été introduit sur le territoire en 1970 à port Laguerre. Le grand mâle au plumage coloré représente un défi pour le chasseur à l’arc.

Voyageurs granivores clairvoyants

Le mâle dominant est remarquable par sa gorge fournie de caroncules rouges, il mène fièrement le groupe. Derrière, les jeunes mâles ainsi que les femelles plus petites et moins colorées suivent. Le dindon sauvage peut atteindre sept à huit kilos et vivre une douzaine d’années. La femelle pond du mois d’août à octobre à même le sol et l’incubation dure entre 27 et 28 jours. Les portées qui atteignent facilement une dizaine de petits résistent tant bien que mal aux prédateurs, cochons, chats et rapaces.
Leur instinct de survie est si développé qu’il y a en permanence un individu du groupe qui observe les alentours lorsqu’il se déplace. Les dindons n’ont pas d’odorat mais par-contre leur ouïe et leur vision colorée sont excellentes. En effet ces volatiles peuvent voir pratiquement à 360 ° et détecter le blanc d’un œil à cent mètres. Ces animaux sont par ailleurs dotés d’une intelligence à ne pas sous-estimer. Ils mémoriseront très vite vos erreurs et sauront les exploiter la fois suivante.
Généralement par famille d’une dizaine d’individus, ces oiseaux voyagent tout au long de la journée en quête de leur nourriture. La recherche de celle-ci se fait dès l’aube dans une direction bien déterminée le plus souvent avec le dos au soleil. Les mâles animent la troupe de temps à autre en paradant pour courtiser les femelles ou en combattant leurs rivaux. Aux heures les plus chaudes, il n’est pas rare de rencontrer ces volatiles à l’ombre. En soirée, de nombreux insectes, sauterelles papillons, et graines de toutes sortes garnissent leur jabot. La famille peut alors rejoindre son perchoir nocturne, un arbre mort le plus souvent.

Stratégies de chasse

Plusieurs tactiques peuvent être employées, à l’affût avec leurres ou avec appeaux, à la course ou encore à la traque. Personnellement, je préfère la traque. Tout simplement parce ce type de chasse vous donne beaucoup plus d’occasions de tir. Mais avant de pouvoir commencer une traque, il vous faudra effectuer un travail de pistage pour localiser les animaux. 

Le pistage

Avant l’aube, vous entendrez le battement de leurs ailes lorsqu’ils quittent leur perchoir pour rejoindre le sol. Dès qu’ils se mettent en route, ils conversent par de petits yelps et purrs, il est alors facile de les localiser. Autrement, les indices frais, fouilles, excréments, traces tridactyles et parfois plumes sont nettement remarquables. Les traces du dindon montrent un doigt central plus allongé que ceux des extrémités. Des amoncellements de déjections en dessous d’un arbre vous confirme l’emplacement d’un perchoir. Si vous observez des traînées parallèles sur le sol poussiéreux des chemins (traces des ailes), vous êtes en présence d’un lieu de parade du gobbler

La traque

La traque est avant tout l’art du déplacement. Le chasseur se donnera un avantage considérable en repérant les animaux sans être lui-même détecté. Lorsque vous voulez vous rapprocher des animaux aperçus, il faudra être patient et discret. Evitez de montrer votre silhouette à découvert, une progression masquée dans les hautes herbes est conseillée. En terrain plus dénudé, il faudra parfois ramper. Arrêtez-vous fréquemment écoutez et scrutez les alentours.
Cette approche doit être silencieuse, et pas trop rapide. N’oubliez pas que les dindons ont une ouïe très développée et feront d’autant plus attention à ce qu’ils entendent. Par-contre, profitez de l’absence d’odorat de votre gibier. Tirez parti au maximum du terrain en utilisant les talwegs, buissons et ombrages pour camoufler votre avancée.
Surtout essayez de ne pas leur montrer vos yeux, lorsqu’un animal lève la tête, cachez-les. Si un dindon vous repère, son cri alertera tout le groupe qui se redressera et vous fixera. A ce moment stoppez votre progression et laisser leur attention se détourner de vous. Parfois, les plus curieux s’avanceront vers vous pour lever le doute. Lorsque c’est possible, revenez sur vos pas et contournez le groupe rapidement, en utilisant le relief ou tout autre avantage naturel. Cette tactique est souvent payante.
Choisissez un animal, il m’est arrivé de me retrouver au beau milieu d’une troupe de dindons et de ne plus savoir lequel tirer. Les mâles sont très convoités pour leur plumage et trophées, mais leur chair est plus ferme. Respectez l’éthique de la chasse en épargnant la dinde qui niche. De même, avant de tirer sur une femelle assurez-vous qu’elle ne soit pas suitée.

Le moment décisif

Quand la distance est raisonnable, au-dessous de vingt mètres, arrive le moment le plus passionnant de la chasse aux dindes : armer l’arc sans être repéré.
Attendez que l’animal tourne la tête, qu’il passe derrière une branche ou qu’il vous tourne le dos. Alors seulement vous pouvez armer votre arc, vous relever et tirer. Les animaux surpris patienteront quelques secondes avant de s’enfuir. Les arcs à poulies avantageront le chasseur qui pourra maintenir plus longtemps son armement. Souvenez-vous que votre objectif est d’immobiliser l’animal que vous convoitez. Le dindon est un animal résistant avec d’excellents réflexes et de petites parties vitales bien cachées. Le cœur du dindon ne mesure en fait que trois centimètres environ. Prenez pour cible un point sur une ligne verticale en avant de la patte et à mi-corps. Ce point peut aussi être le milieu de l’épine dorsale lorsque vous surplomber l’animal ou bien par l’arrière le point de convergence des plumes de la queue lorsque le mâle parade. La tête reste évidemment le fin du fin pour les plus adroits, notez qu’elle est à peu près trois fois plus grosse que le cœur mais beaucoup plus mobile. Le chasseur expérimenté verra sa flèche heurter l’animal. La flèche idéale ne le traversera pas complètement, ce qui gênera considérablement un animal blessé dans sa fuite. Ne prenez pas le risque de blesser un animal en tirant de trop loin, soyez patient.

L’après tir

Si votre dindon touché se débat sur place vous avez de la chance, sinon agissez rapidement. Balisez l’emplacement où l’animal à pris la flèche. Le dindon blessé ne laisse souvent que de petits indices voir aucun. Suivez donc bien sa retraite, mais surtout ne courrez pas, sinon l’animal pourrait s’envoler. La bête pourra aussi se dissimuler dans les buissons environnants et se confondre avec une pierre. J’ai pu constater quelquefois une hésitation des dindons à abandonner un de leur compatriote touché. Dans ce cas et s’ils ne vous avaient pas encore remarqué, évitez de les éduquer et attendez leur fuite avant de récupérer votre gibier.

Sécurité

La chasse aux dindes, dans le feu de l’action peut conduire à de tragiques accidents. Ne tirez jamais sur une bête mal identifiée. Assurez-vous de tirer des flèches fichantes. Si vous chassez avec un partenaire, établissez un plan d’action et repérez sa position avant de tirer. Attention à l’animal qui se débat avec une flèche, cette dernière pourrait vous blesser. Après le tir, insistez sur la recherche de vos flèches, une flèche perdue dans la nature peut être dangereuse.

Matériel

Pour chasser le dindon, vous pouvez utiliser un arc de quarante livres, bien insonorisé par le biais de silencieux et une fenêtre recouverte de peau. Le carquois sera bien adapté et solidaire de l’arc.
La tenue camouflée joue un rôle prépondérant dans ce type de chasse. Utilisez un filet expansible ou du maquillage pour vous camoufler le visage. Eliminez tout objet brillant de votre équipement, boucle de ceinture, optique, etc… Dissimuler l’empennage de vos flèches de couleur vive n’est pas inutile.
Les tubes pourront être garnis de pointes bilames zwickey avec rondelles du type adder qui offriront plus de résistance à la pénétration. Cette moindre pénétration facilitera la récupération du gibier. Un empennage « fluflu » vous permettra de retrouver plus facilement vos flèches. Pour ceux qui vise la tête, un assommoir en caoutchouc du type bludgeons est très approprié.
L’utilisation d’appeaux accompagnée de leurres peut être passionnante lorsqu’elle est maîtrisée.Les leurres fonctionnent particulièrement bien avec le dindon, les reproductions en trois dimensions sont très réalistes. Cependant vous pouvez fabriquer ce matériel vous-même, il sera tout aussi efficace.

Si vous aimez la nature et recherchez des sensations fortes, la chasse au dindon à l’arc est celle qu’il vous faut ! Le défi est si attrayant, que vous ne vous lasserez pas d’une chasse authentique, sportive, écologique mais jamais gagnée d’avance.

Patrice Raillard de la Nouvelle Calédonie

Chronique Chasse-Arc-2

Deux beaux mâles en quête de nourriture

Chronique Chasse-Arc-2

Deux jeunes mâles à la recherche de graines

Chronique Chasse-Arc-2

Une chasse réussie au dindon mâle

Chronique Chasse-Arc-2

Un mâle prélevé avec un arc classique de 55 lbs

Chronique Chasse-Arc-2

Un vieux mâle tiré au détour d’un buisson